FICTION A SUIVRE ...

Kaboul ...Thé !

Calais ... Café !

"Un Afghan à Calais"

Le récit

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ou

romans au choix)

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ROMANS AU CHOIX

NOTRE LANGUE EN PROSE

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Kaboul ... Thé ! Calais ... Café !

COMME AU BON VIEUX TEMPS DES FEUILLETONS ...

UGO VALENCE, Agent secret

NOTRE LANGUE EN VERS

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ESILELISE

  • ¤

Esilelise

   

NOUVELLES A LIRE

NOTRE LANGUE EN PROSE

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Le français dans la mouise

  • ¤

De l'Antiquité à nos jours ...

Nouvelles d'hier et de demain, et même ... d'avant-hier et d'après-demain

Une petite ville d'histoireS

La more solitere du vieus moulin

NOTRE LANGUE EN VERS

  • ¤

JUSTE UN DERNIER VERS ... ET JE FINIS MON CHEMIN

  • ¤

Juste un dernier vers ... et je finis mon chemin

PIED A PIED

 

Le lézard
 
 
Un lézard
dort au soleil
et perd
un petit bout de queue
 
Un lézar
dort au soleil
et perd
un petit bout de queue
 
Un léza
dort au soleil
et perd
un petit bout de queue
                                     
Un léz
dort au soleil
et perd
un petit bout de queue
 
Un lé
mon Dieu
qu’il est laid et hideux
sans sa queue
 
Un l
qui perd la tête
ça n’a

ni queue ni tête

 

S.L.

 

Dis, Monsieur
 
  
 
Dis, Monsieur,
Fais-les rire
 
Dis, Monsieur,
Regarde leur sourire
 
Dis, Monsieur,
Ecoute leurs soupirs
 
Dis, Monsieur,
J’veux pas être sérieux
 
Dis, Monsieur,
Fais-en des élèves heureux
 
Tais-toi, mon âme,
Je suis prof.
 
 
S. L.

 

Oiseau de liberté

Hip ! Hip !

tu sautilles-tilles

Piaf

sur le bord de la gouttière

et tu cries

ton enfant tombé

à peine emplumé

du nid de tiges séchées

et ma main main minotaure

qui l’enserre

 

ne crie pas si fort

 

Piaf

 

c’est pour mieux le regarder

c’est pour mieux l’envier

cet oiseau-enfant

 aux ailes de liberté.

 

 

Je dédie ce poème

à l’oiseau ramassé

à peine

ce poème terminé

 

P

 

Pipi, pipi, pipi,

Popo, popo, popo,

Papa, papa, papa,

Pépé, pépé, pépé,

 

-i-i, -i-i, -i-i,

-o-o, -o-o, -o-o,

-a-a, -a-a, -a-a,

-é-é, -é-é, -é-é ,

 

Sans P la vie serait

A mourir de rire.

 

U

 

Un chameau

Et deux dromadaires,

Ca fait trois bossus !

 

Une ânesse

Et deux baudets

Ca fait trois têtus !

 

Un Petit Poucet

Et ses deux frères

Ca fait trois perdus !

 

Un gros

Et deux replets

Ca fait trois dodus !

 

Une pie

Et deux arondes

Ca fait trois langues bien pendues !

 

Mais un T

Et deux U

Ca ne fait qu’un vieux train : TU-U !

 

       S. L.

 

Fleuve Amour, bonjour

 

Tais-toi, Congo,

T’es pas beau !

 

T’as la Vistule

Qui se coagule

 

Et tu fais Mississipi

dans l’Ienisseï

 

Ton épouse la Garonne

joue l’Amazone

 

Avec le beau Danube

Qui titube

 

Il croit avoir la Moskova

Dans les bras

 

Et l’Escaut

C’est pas le Pô

 

Enlève la chemise

De la Tamise

 

Ah ! ce Rhin

Quel maintien

 

Il caresse sa demoiselle

La Moselle

 

Et perd le Nord

L’Amour est le plus fort

 

          S.  L.         

 

   Bonne lecture !

 

 

 
 


                                                                       
 

 

 

ME JOINDRE
NOUS SOMMES LE
UGO VALENCE, Agent secret - NUITS DU LIBAN chapitre 4
Nuits
 
 
Stéphane LEFEBVRE
 
 
Nuits du Liban
 
 
CHAPITRE 4
     

   Ugo avait omis de tirer les rideaux. La lumière crue du jour envahissait la chambre et le réveilla.

 

   Il entrouvrit un œil. Le soleil était déjà juché haut dans le ciel et une large portion de ses rayons s’infiltrait dans la pièce et réchauffait l’atmosphère.

 

   Ugo cligna les yeux, s’étira longuement et bâilla avec bruit. Puis il rejeta les couvertures, se lança hors du lit et s’enfouit les pieds dans ses chaussons. Il tendit le bras et consulta sa montre : un peu plus de dix heures.

 

   Assis sur le rebord du lit, il frissonnait, mal réveillé.

 

   Il alluma une cigarette. Un de ses tics fâcheux ! Il adorait fumer au saut du lit. Puis il ôta sa veste de pyjama et passa dans la salle de bains pour sa toilette.

 

   Une fois convenablement habillé, l’agent secret descendit au bar de l’hôtel. C’était le patron en personne, un quinquagénaire au faciès de victime de sévices, qui remplissait à ce moment les fonctions de barman. Il se confondait en courbettes devant quatre ou cinq messieurs pète-sec.

 

    Bonne occasion, selon Ugo, pour se faire donner quelques petits ren-sei-gne-ments. Il avait mentalement détaché les syllabes de ce dernier mot.

 

   Il approcha un siège et s’accouda au bar. Le patron se glissa derrière son comptoir et s’avança avec le sourire artificiel du commerçant.

 

   — Etes-vous satisfait de votre séjour ? s’enquit-il auprès de son hôte, visiblement prêt à soutenir ses dires. Question qui était devenue un rite chez lui et voulait guérir le client d’un mauvais réveil éventuel. 

 

   — Tout à fait, répondit Ugo en anglais, flattant le zèle de son interlocuteur. Vous habitez un pays digne des mille et une nuits et vous possédez un établissement impeccable.

 

   Ugo tint à en rajouter un peu :

 

   — Au passage je vous félicite pour sa tenue.

 

   — Thank you very much. Monsieur prendra ?

 

   — Du café !

 

   — Du café pour Monsieur!

 

   — Faites-moi le plaisir d’une consommation en ma compagnie, dit Ugo d’un ton amical, cachant adroitement ses intentions.

 

   — Volontiers. Ce sera la même chose.

 

   C’était peut-être bien là l’âme de l’Oriental. Faites son jeu tout en servant votre intérêt, il n’y verra goutte et croira bientôt pouvoir vous vendre le monde.

 

   Les consommateurs étaient rares. La plupart des pensionnaires quittaient l’hôtel sans s’arrêter au bar. Le calme était propice pour entraîner la conversation sur des pistes dangereuses en d’autres temps. Les murs ont des oreilles, dit le proverbe. Et des micros, ajoutait le Vieux.

 

   Pendant que le patron préparait les deux tasses de café, Ugo reprit les devants :

 

   — Avec un temps aussi rayonnant pour la saison, les clients doivent certainement affluer.

 

   — Ou-oui, fit le patron avec une moue. Ce n’est plus le rush des touristes de la saison d’été. Plutôt une clientèle d’affaires ou de passage, des gens de tous les coins du monde. Tenez, vous êtes l’avant-dernier client arrivé ici. Vous voyez !

 

   Oui, Ugo voyait ! Le chiffre 1 peint en bleu apparut sur le fond rouge d’un écran lumineux dans son cerveau : une partie gratuite. Le dernier client débarqué à l’hôtel était Lanson. Ugo aperçut dans le déploiement du bras qui avait accompagné les paroles du Libanais une passerelle qui se jetait au-dessus de l’abîme et le rendait franchissable.

 

   Avec le souhait rituel, Ugo but une gorgée de café. Puis il alluma une cigarette. La nicotine se mêla sur sa langue au café et une salive amère lui vint à la bouche. Il déglutit avec une grimace de dégoût.

 

   Ugo se prépara à une seconde offensive sur le patron. Mine de rien, il fallait continuer à lui tirer les vers du nez. Et, au fond, cela n’avait pas mal commencé : pourquoi ne pas fouiller un peu plus profondément ! Cet interrogatoire subtil prit la forme d’une demande de service.

 

   — Would you be so kind as to… Auriez-vous l’amabilité de me prévenir si quelqu’un me demandait ? sourit l’agent secret.

 

   — A votre service, Monsieur ! sourit le Libanais à cheveux ras.

 

   — Je vous remercie. Personne ne m’a demandé hier ?

 

   — Non, Monsieur. J’ai servi les clients à ce bar toute la journée et personne n’est venu pour vous.

 

   Ugo vit une nouvelle fois la petite ampoule électrique s’allumer dans son cerveau et éclairer le chiffre 2 : deuxième partie gratuite.

 

        Le fil conducteur cisaillé se renouait solidement. En dix minutes d’entretien Ugo avait glané davantage de renseignements qu’en trente-six heures de casse-tête et de massacre. Etant donné qu’il n’avait pas fixé à l’avance l’hôtel dans lequel il descendait, personne à fortiori ne pouvait en connaître l’adresse.

 

   Ugo n’osa pas aller jusqu’à penser qu’un adversaire sain d’esprit et méthodique aurait pu s’installer « comme ça », dans l’établissement où précisément il avait pris pension, sous prétexte que son flair était infaillible. Jusqu’ici, pas de quoi se perdre dans une réflexion dédaléenne ! Ensuite ! L’agression du tueur arabe, la veille, prouvait que Lanson était sur le banc des accusés et même… des condamnés.

 

   Quant à lui, le réseau adverse l’avait immatriculé : cette thèse était confirmée par le fourmillement des bacilles de tétanos sur sa brosse à dents. On avait donc mis à profit leur absence de la veille. Mais qui « on » ?

 

   L’agent secret était maintenant sûr d’une chose d’une importance primordiale. L’assassin possédait des complices à l’intérieur même de l’hôtel. On ne recrute plus et depuis longtemps des espions valables parmi les funambules et les gens de cirque. Mais… Mais oui ! Et si l’assassin était lui-même dans l’hôtel ! Un membre du personnel !

 

   Un tremblement nerveux saisit Ugo tandis qu’un frisson le parcourait de la nuque aux talons. Son sang fit un tour plus précipité et une bouffée de chaleur l’enveloppa alors. Une fraction de seconde plus tard, il s’était ressaisi.

 

   Ugo lorgna le patron. On s’inquiète toujours du fait que le physique puisse laisser transparaître un indice trahissant un dérèglement intérieur momentané. Le patron astiquait ses verres et perdait son regard éteint sortant d’un visage raviné sur les palmiers qu’un vent tiède dodelinait, de l’autre côté de la chaussée.

 

   Ugo but d’un seul trait le reste de café et refusa la tournée que le patron lui proposait. Il lui abandonna un bakchich généreux. Et pour cause ! Sa naïveté et sa salive méritaient bien cette largesse.

 

   Ugo sortit du bar et s’installa dans un coin ombragé et tranquille de la terrasse pour y réfléchir. Il n’avait pas pris son petit déjeuner. Il acheta un gros paquet de loukoums à l’un de ces increvables petits marchands libanais qui courent les rues, leur panier sous le bras, bien avant le lever du soleil, et le dégusta tout en léchant la fécule qui collait sur le bout de ses doigts. Ces confiseries orientales étaient délicieuses.

 

 Ugo renonça à rendre visite au docteur Monribier, comme il le lui avait laissé entendre la veille. Il n’avait pas encore besoin de ses services. De plus l’ennemi ignorait peut-être son existence et surtout sa façon d’occuper ses loisirs. Pourquoi le précipiter dans la gueule du loup ?

 

   Ugo passa ainsi la journée à ronger son frein et à méditer, de la terrasse de sa chambre et de sa chambre à la terrasse.

 

   Parfois il se laissait entraîner par la rêverie et le film de ses activités au Liban se déroulait sur son écran intérieur très fidèle, avec toujours la même image sous-jacente et lancinante, le visage ravagé de Lanson étendu mort sur son lit.

 

   Chaque fois la scène passée, un déclic se produisait dans son esprit et il reprenait brutalement contact avec la terre. La police avait peut-être découvert le cadavre raide et glacé de l’agent de voyage ? Ses réflexions se tournaient ensuite tout naturellement vers le ravin où gisaient la Ford et la Chrysler. Quelqu’un était-il venu examiner ces tôles entrelacées ? Si oui, il risquait de se voir emmené au cachot avant d’avoir rempli sa mission.

 

   La boule rougeoyante du soleil s’était perdue sous l’horizon. Ses derniers rayons déployaient à l’ouest une immense nappe rose et donnaient un sourire d’adieu à ce pan de ciel.

 

   A force d’hypothèses abracadabrantes, de déductions dont la logique laissait beaucoup à désirer et de recoupements trafiqués, Ugo était parvenu à dresser un portrait-robot de l’assassin présumé, un portrait-robot étrange qui avait un esprit mais pas de corps. Pourtant, de temps à autre, ce portrait recevait une touche, un simple coup de crayon et prenait une apparence plus familière, une silhouette désormais connue de l’agent secret : celle du barman de l’hôtel.

 

   Sur la terrasse, Ugo l’avait remarqué derrière lui, polissant une cinquième fois la même table depuis longtemps impeccable. Son regard d’individu mal à l’aise s’éclipsait lorsque l’agent secret tournait le sien. Il s’éloignait de quelques tables et recommençait son geste, pendant que le représentant en produits pharmaceutiques continuait à siroter son verre, la mine sereine.

 

   Parfois Ugo, sortant de sa chambre, le croisait dans le couloir. Il s’engouffrait alors dans la cage d’ascenseur.

 

   Le barman dissimulait gauchement son intérêt pour les agissements du Français (ou peut-être Anglais, Ugo s’interrogeait) et ce signe n’échappait pas à l’agent secret, d’autant plus qu’il avait de sérieux motifs de se méfier du premier imbécile venu.

 

   Ugo se jurait bien de prendre sa revanche.

 

**********

 

   Ugo était revenu sur la terrasse respirer une bouffée d’air frais et digérer son poulet grillé à l’ailloli. Malgré l’éloignement, il venait d’entendre le carillon du bar frapper huit coups : huit heures du soir.

 

   Ugo s’était retranché dans un coin de la terrasse, à l’abri de la lumière éblouissante et cruelle des lampes au néon. De cet endroit, il possédait l’avantage de contempler tranquillement la rue et ses allées et venues.

 

   Ugo tirait une bouffée dans une cigarette anglaise lorsqu’il vit la silhouette trop familière du barman apparaître sur le trottoir. Celui-ci s’y attarda un instant et Ugo le vit faire un rapide tour d’horizon de la tête. L’autre ne pouvait pas le voir.

 

   Ugo eut un sursaut. Il écrasa sa cigarette d’un coup de talon rageur. Fallait-il laisser filer cette crapule, ou devait-il la suivre ? Il n’hésita qu’une infime fraction de seconde. Fort de ses cogitations, il décida de s’intéresser de plus près aux occupations extra-professionnelles de cet énergumène.

 

   L’autre trottina en traversant la rue animée puis ralentit le pas et s’éloigna sur le trottoir opposé. Ugo quitta calmement sa retraite. Il descendit l’escalier de la terrasse et s’immobilisa sur le trottoir, dissimulé dans l’ombre d’un mur, surveillant les mouvements du Libanais.

 

   Celui-ci marchait toujours du même pas assuré. Il se trouvait maintenant à une quarantaine de mètres de l’hôtel. Ugo le vit contourner une Buick rutilante et s’installer au volant d’une vieille Ford, du même modèle que celle qu’il avait louée, stationnée devant.

 

   Ugo ne bougea pas. Il scrutait l’avenue d’un regard de fauve. Il la photographiait.

 

   La voiture démarra dans un nuage de fumée et vira rapidement sur la droite dans une rue transversale où elle disparut.

 

   Ugo sortit alors de son retranchement, et, après avoir jeté un regard rapide de chaque côté pour s’assurer qu’aucune voiture n’arrivait dans un sens ou dans l’autre, il fonça vers l’Austin 1800 qui démarra dans un formidable vrombissement de moteur.

 

   le conducteur prit à son tour la première rue à droite. Trente secondes plus tard il avait dans son champ de visibilité le tacot qui se laissait pousser par le flot des voitures. Il leva le pied de l’accélérateur et suivit la file.

 

   Suivre était une chose relativement facile. La capitale libanaise baignait dans un soleil artificiel. La foule s’abandonnait à l’indolence. Les voitures américaines roulaient avec la lenteur et la majesté des chameaux dans le désert, couvant la petite berline anglaise et plaignant la vieille Ford.

 

   Ugo roula un bon moment ainsi, personne ne songeait à donner un coup d’avertisseur pour forcer l’allure, l’agent secret non plus. La Ford avait le même train-train.

 

   Plus gigantesque que les autres immeubles, Ugo aperçut la masse imposante de l’Université américaine de Beyrouth, alma mater d’innombrables dirigeants arabes, avec ses bâtiments académiques et les logements des professeurs.

 

   L’allure ne dépassait guère vingt miles à l’heure. Tout en maintenant plusieurs voitures intercalées entre celle du barman et la sienne, le suiveur s’efforçait de ne pas perdre de vue son lascar.

 

   Le Libanais rangea doucement sa voiture face à la sortie de l’Université. En conséquence, Ugo fit de même et se plaça à distance raisonnable derrière la Ford.

 

   — Que va-t-il faire ? s’interrogea l’agent secret.

 

   L’autre ne bronchait pas, il semblait attendre.

 

   Ugo, au vrai très sincèrement admiratif, s’émerveilla de l’aspect incommensurable de l’Université lorsqu’on se trouvait à ses pieds, si près de ses bâtiments cerclés d’espaces verts qui se dressaient entre les eaux bleues de la Méditerranée. L’ensemble universitaire offrait un surprenant mélange de l’Orient et de l’Occident, du traditionnel et du moderne. Les premiers édifices de grès construits au dix-neuvième siècle s’harmonisaient avec la sobre géométrie des murs de béton du vingtième.

 

   Des groupes d’étudiants quittaient l’Université, qui une règle à calculer, qui un manuel sous le bras. Ugo reconnut une majorité d’étudiants de race arabe, mais il y en avait d’autres venus de nombreux pays, depuis l’Afghanistan jusque Zanzibar.

 

   Sur la gauche, sur les allées qui descendent vers la place de l’Université en contournant les terrains de sport, Ugo vit sous les palmiers et les figuiers un groupe bariolé qui discutait avec de grands gestes et des bouches qui se retroussaient jusqu’aux oreilles.

 

   « Heureux temps », pensa Ugo, attendri.

 

   Cinq minutes s’étaient passées. Le barman était resté assis à son volant. Ugo vit alors s’approcher de la Ford une jeune femme aux grâces de nymphe qui s’installa à côté du chauffeur.

 

   « Me serais-je trompé sur le bonhomme ? » se dit Ugo, pas très convaincu pourtant qu’il pouvait avoir tort. En tout, le mec ne se refusait rien.

 

   La Ford redémarra, ne laissant pas à Valence le temps de réfléchir plus intensément.

 

   Et le jeu du chat et de la souris recommença. En l’occurrence, l’autre lésinait sur l’accélérateur et roulait au même train-train de croisière que tout à l’heure.

 

   Ils quittèrent la ville et ses lumières. Ugo se prit à se demander s’il n’était pas celui qui jouait le rôle embarrassant du témoin, du casse-pied inutile et importun dans le déroulement de la scène.

 

   Tant pis, pour une fois il le jouerait ! Et puis les deux autres semblaient l’ignorer. Peut-être se mettait-il trop vite martel en tête !

 

   Pendant un quart d’heure, il musarda à cent cinquante mètres derrière la voiture du Libanais, caracolant sur la route en direction de Baabda.

 

   La nuit s’imposait sur la campagne, affaiblie parfois par les feux de quelques grosses voitures qui roulaient vers Beyrouth. Sans doute plusieurs émirs arabes éperdus d’érotisme et qui fonçaient vers la capitale du plaisir recruter leur harem.

 

   Ugo aperçut les phares de la Ford qui balayaient une paroi montagneuse, décrivant un quart de cercle vers la droite. Le barman changeait de direction. Le faisceau lumineux oscillait de haut en bas, et bien sûr de bas en haut, comme si la voiture avait été secouée : elle s’engageait dans un chemin cahoteux.

 

   Ugo se dit que leur randonnée touchait à sa fin. Il lança l’Austin à plein régime et passa en trombe à leur hauteur. Il aperçut tout au loin une maison faiblement éclairée par les phares de l’autre véhicule.

 

   La route décrivait une courbe assez resserrée autour du monticule rocheux. Ugo suivit quelques instants la paroi abrupte qui en formait le pied puis découvrit une faille où s’étendait un endroit relativement plat et couvert d’arbres. Il ralentit, engagea la voiture sur la montée et stoppa derrière des buissons qui la dissimuleraient aux usagers de la route. Il coupa les gaz et éteignit les feux.

 

   Maintenant il fallait faire vite. Il parcourut une dizaine de mètres à terrain plat sous les arbres, bifurquant sans cesse pour éviter de s’emmêler dans les ronces, mais à ce niveau la paroi reparaissait, droite comme une falaise, haute de plusieurs brassées.

 

   Il l’examina. Les arbres s’étaient insinués dans les roches pour pousser. Il s’y agrippa et commença son ascension. Son pantalon fit les frais de son caractère intrépide. Une branche fendit le bas dans une détente brusque.

 

   En quelques bons coups de reins Ugo atteignit un sentier de chèvres semé de pierres mais moins difficile. Il grimpait maintenant en s’aidant de la maigre végétation de garrigue à laquelle il se cramponnait. Dans la précipitation les pierres ne l’épargnaient pas. Il butait, glissait et ses chevilles accusaient le coup.

 

   A mesure qu’il gravissait le raidillon, une brise fraîche venant de la mer fouettait ses joues en feu. Elle charriait péniblement avec elle quelques nuages qui masquaient momentanément la lune.

 

   Les jambes amollies, Ugo atteignit enfin le sommet. Tendu et concentré dans l’effort, il ne s’était pas rendu compte qu’il suait et qu’il haletait. Il s’arrêta un instant et s’épongea le front, puis, tout en reprenant sa marche, il se vida les poumons et respira profondément afin de calmer son essoufflement.

 

   Il fit une quinzaine de pas, se penchant en avant quand il expirait, redressant le buste lorsqu’il inspirait. A ce moment, le rugissement d’une voiture qu’on lance en première lui parvint. C’était la Ford. Les phares s’allumèrent et ses deux projecteurs balayèrent simultanément la montagne jusqu’à mi-hauteur.

 

   Ugo se tassa de peur de recevoir de la lumière et d’être découvert, mais sa position était encore trop élevée sur la butte : il resta dans l’obscurité.

 

   Dès que le flanc en pente douce du mont fut replongé dans la nuit, Ugo se releva et reprit sa progression. Il s’efforçait de descendre rapidement et surtout silencieusement.

 

   Plus bas, la voiture avait fait demi-tour et amorçait ses premiers mètres vers la route lorsque le bruit de deux coups de feu se mêla au bruit du moteur. On s’agitait dans l’ombre. Instantanément Ugo s’arrêta. Il voulait voir venir avant de s’aventurer dans l’enfer. Il s’accroupit et se mit la main en conque derrière l’oreille.

 

   Un troisième coup de feu éclata, suivi sur-le-champ d’un quatrième qu’en connaisseur le Français estima plus retentissant que les précédents. Ugo comprit que les tirs provenaient de deux armes de modèles différents.

 

   Il attendit vainement une suite à ces échanges de points de vue, pendant une minute il tendit vainement les tympans. La Ford avait disparu et le silence remplissait la campagne, un silence épuisant à supporter. L’atmosphère se chargeait d’électricité prête à tout ravager.

 

   Ugo épiait, tous ses sens mobilisés. Seul un son qu’il ne savait à quoi rapporter lui parvenait de plus en plus distinctement, mêlé au vent qui lui séchait la sueur du front.

 

   Ugo banda ses muscles et se mit en alerte. Il rassembla tout ce qu’il possédait en lui d’énergie et tint son sang-froid. Une pierre venait de rouler sur la pente, quelqu’un montait. Ugo tenait les yeux grands ouverts et scrutait la plus faible agitation de la végétation.

 

   Il identifia le son qui l’intriguait bougrement : le gémissement d’une personne blessée. Les coups de feu n’avaient pas été tirés en l’air.

 

   Il se glissa derrière un bloc de granit qui trônait parmi les épines et fit le gros dos.

 

   Il distingua une masse informe et noire qui se mouvait. Son regard se riva dessus. Le contour en était flou. Il fallut plusieurs secondes pour qu’une silhouette ne se détache de ce tracé vaporeux.

 

   La lune était sur le point de percer un nuage boursouflé. Avant que l’endroit ne fût enveloppé dans la clarté traîtresse de ses rayons, Ugo rampa vers la forme humaine. A ce moment la lune ouvrit un œil rieur en échappant à son nuage. Elle était là, il fallait compter avec elle.

 

   L’homme gravissait la butte par à-coups. On eût dit qu’il haussait continuellement les épaules. Il se hâtait. Ses traits se précisèrent dans la lumière bleutée : le barman.

 

   Ugo se traînait sur les coudes. Sa progression était pénible. Des épines se plantaient dans toutes les parties de son corps. Arrivé à la hauteur du sentier qu’empruntait le Libanais, Ugo se plaqua contre terre.

 

   L’autre montait en clopinant. Ugo l’entendait souffler et grogner. A mesure qu’il s’approchait, la silhouette grandissait comme un ballon qu’on gonfle.

 

   Ugo lui agrippa le pied au moment où il faisait un nouveau pas et le tordit. Le barman pivota sous l’effet de la torsion, perdit l’équilibre et s’écroula avec un cri de douleur. Ugo s’accroupit et d’une brusque détente se lança. Mais en sursautant, l’énergumène se trouvait déjà en position assise. Il faisait face à l’agent secret et pointait un revolver.

 

   — Arrête ou je tire, souffla-t-il.

 

   Ugo continua sa plongée et se laissa tomber de tout son poids sur l’escogriffe, en accomplissant un brusque écart. Avec la rapidité de l’éclair, il avait saisi la main armée. De l’autre bras, il exécuta un mouvement ascendant sous le bras de l’homme et lui coinça l’avant-bras dans le creux de son propre coude. Ses mains se joignirent autour du poignet ennemi et l’enserrèrent dans un étau puissant.

 

   Ugo contracta ses triceps. Le lascar résistait avec l’énergie du désespoir, mais le danger avait été écarté, le revolver pointait maintenant en l’air. Ses ahans redonnaient une solidité momentanée à sa résistance. Malgré sa hargne, son épaule se fatiguait vite et était sur le point de céder. La torsion déchirait les muscles. Ugo mit à profit ce fléchissement et força la dose sèchement. Les doigts de la victime se décrispèrent et laissèrent glisser le revolver sur le sol.

 

   Ugo récupéra l’arme et l’identifia : un P.08 allemand. Le barman s’en était servi quelques instants auparavant. Le quatrième coup de feu, plus bruyant, avait été tiré par cet engin qui fait ordinairement un boucan du diable.

 

   L’autre reprit les gémissements qu’il avait omis de pousser pendant la bagarre. Il pleurnichait presque. Sa main massait délicatement son épaule meurtrie puis frôlait sa cuisse avec hésitation.

 

   — Be quiet ! lui conseilla l’agent secret en lui administrant une pichenette sous le menton.

 

   Le Libanais dodelina du chef.

 

   — Qu’est-ce qui se passe là-bas ? questionna Ugo en anglais.

 

   — Je n’en sais rien ! répliqua l’autre, terrorisé par l’œil de Cyclope de sa propre arme qui regardait fixement le côté gauche de sa poitrine.

 

   Ugo lui cogna le crâne une seconde fois durement. Le Libanais grimaça à la manière du pitre qui recherche les grimaces les plus horribles pour faire rire ses camarades.

 

   — Ecoute, je n’ai pas de temps à gaspiller bêtement avec des animaux de ton espèce. Parle ou tu ne reverras plus ta mère. Ici je peux te renvoyer dans le monde de tes ancêtres sans chercher de complications. Tu le sais bien, ce n’est sûrement pas à moi que la police viendra demander des explications. Alors, tu me craches ce que tu as sur le cœur,  ou bien… Pan !

 

   Ugo fit un geste éloquent. Le geste décuple toujours la portée de vos paroles. Le Libanais comprit qu’il n’était pas question de tergiverser. Son bourreau ne lambinerait pas.

 

   A ce moment un nouveau ronflement de moteur parvint aux deux hommes. Cette fois-ci Ugo n’identifia pas la voiture. Il ne la connaissait pas, tout au moins par le son.

 

   Le barman gesticula. Ugo lui intima de se transformer en statue et de ne pas se laisser aller à des gestes inconsidérés.

 

   Ils écoutaient. Le moteur rugit à plusieurs reprises sous des poussées successives de l’accélérateur pendant que la voiture prenait de l’allure. Elle roulait tous feux éteints. A peine si Ugo pouvait distinguer dans la clarté lunaire une masse plus noire en mouvement. Au bruit, Ugo estima qu’elle se dirigeait vers la route comme l’avait fait la précédente. Il se tourna vers le barman et planta dans ses yeux un regard de basilic.

 

   — Et ça, qu’est-ce que c’est encore ? demanda-t-il sèchement.

 

   — La petite garce ! Aïe, ma cuisse, lâcha l’autre, maugréant pour lui-même.

 

   Puis il se souvint de la question et dit d’un accent de sincérité :

 

   — Je n’en sais rien.

 

   Le bonhomme avait l’air complètement affolé. Ugo se demandait si vraiment il ignorait tout ce qui se passait dans cette maison. Quoi qu’il en fût, il le serra davantage au collet.

 

   — Je n’en sais rien, répéta le Libanais. C’est une môme qui m’a dit que j’avais à venir ici de toute urgence.

 

   Il transpirait énormément et la sueur dégoulinait dans son cou. Il s’épongeait d’un revers de manche. Il suait autant de fatigue que de peur. La lune salissait son visage de moricaud ruisselant.

 

   — Pour faire quoi, demanda Ugo, qui voulait des explications sur les raisons de cet appel impératif.

 

   — Voir mon chef.

 

   — Ensuite ?

 

   — J’étais à peine descendu que la fille foutait le camp avec ma bagnole et que je me prenais une balle dans la cuisse.

 

   Il soupira.

 

   — Par qui ? poursuivit Ugo.

 

   — Si je le savais !

 

   Le barman ajouta quelque chose dans une langue inconnue. Mais le ton ! Un juron arabe, sans doute.

 

   Ugo continua l’interrogatoire, impatient.

 

   — Et ton chef ?

 

   — Pas vu.

 

   Ugo aurait voulu faire évoluer leurs propos sur des questions plus corsées, plus indiscrètes. Il se ravisa et mit fin à l’interrogatoire inutile. L’autre n’allait pas vendre les copains uniquement parce qu’il le lui ordonnait d’un ton bourru. L’étendre pour de bon comme il le lui avait promis s’il s’entêtait à rester muet n’était pas raisonnable. Ugo estimait avoir encore besoin de lui vivant car une idée le turlupinait. Une idée furieuse de visiter la maison trottait dans sa cervelle et le Libanais servirait de guide. Le torturer un peu auparavant ? Un instant cette pensée lui effleura l’esprit mais Ugo l’abandonna bien vite. Le Libanais, malgré ses allures de mauviette, possédait une constitution suffisamment solide pour résister un bon moment.

 

   Et puis le matériel dont il disposait était fortement réduit. Il n’avait que la possibilité de lui asséner de temps à autre un coup de crosse bien senti sur le sommet du crâne. C’était pratiquement tout. Et c’était tout le contraire de ce qui était nécessaire pour délier la langue d’un homme en maintenant sa lucidité intacte.

 

   Ugo se releva.

 

   — Maintenant debout, ordonna-t-il d’une voix rauque. J’aimerais visiter cette demeure. Tu me serviras de guide.

 

   Le Libanais se plaignait de sa jambe qui rechignait à la tâche. Tant pis pour lui ! S’il avait eu les réflexes mieux exercés, il ne se serait pas laissé plomber comme un apprenti. Il avait de la fumée à la place du cerveau et autant de pouvoir de réflexion qu’un bœuf.

 

   Le barman obtempéra.

 

   — En avant.

 

   Ugo passa derrière pour le tenir plus facilement en joue, comme tout être sensé l’eût fait.

 

   Le Libanais descendait la pente d’une marche saccadée.

 

   Il avançait le plus loin possible sa jambe, avant de prendre précautionneusement appui dessus et d’accomplir un nouveau pas. Un râle d’énervement et de douleur à la fois marquait chaque aspérité du sol et servait de signal de danger à Ugo qui descendait à une distance de trois pas de son guide.

 

   Ugo put bientôt distinguer la demeure, genre chalet, en fait une bâtisse provisoire composée d’éléments préfabriqués autour de laquelle ne croissait qu’un maigre gazon.

 

   Les deux hommes traversèrent cette étendue d’herbe à la queue leu-leu. Et pour cause. Le guide gravit plusieurs marches et s’arrêta devant la porte d’entrée. Le visiteur l’imita.

 

   Ugo fut soudain surpris du silence sépulcral qui emprisonnait le chalet. Plus ou moins consciemment, il s’attendait à entendre les éclats de voix d’une dispute, les coups sourds d’un règlement de comptes, un tohu-bohu indescriptible. La maison paraissait sommeiller au creux de son vallon. Aucun rai de lumière ne filtrait. Y avait-il encore à l’intérieur quelqu’un de dangereux ? Ils auraient la réponse en poussant la porte. La fusillade éclaterait de nouveau.

 

   Ugo s’écarta de la porte et s’adossa au mur.

 

   — Entre, commanda-t-il à voix basse, et tiens-toi tranquille.

 

   Rien ne vint. Le Libanais se tenait debout, hébété de n’être pas encore ratatiné sur le ciment, la peau du ventre poinçonnée.

 

   Ils pénétrèrent dans un couloir. Il y a souvent un interrupteur à l’entrée d’une maison. Ugo glissa la main sur le papier qui tapissait le mur, trouva ce qu’il cherchait, le palpa et fit de la lumière. Les deux hommes cillèrent les yeux, éblouis brutalement.

 

   Sur-le-champ le Libanais partit vers le fond du couloir, voulant entraîner discrètement Ugo à sa suite. Celui-ci proféra une menace qui stoppa l’autre dans son élan et lui fit accomplir un demi-tour.

 

   — Non, ici, tonna l’agent secret, indiquant du canon de son arme la première porte à droite. Commençons par le commencement, veux-tu ?

 

   L’autre revint sans un mot, les yeux baissés, déconfit mais bouillonnant intérieurement d’avoir à faire les caprices de cet Européen qu’il aurait enduré de décarcasser. Il ouvrit et passa le premier.

 

   Ugo s’avança à son tour, claqua le battant de la porte et s’en éloigna, cherchant un endroit favorable à la riposte en cas d’attaque de la part d’inconnus.

 

   Un ouragan avait soufflé dans la pièce et la singularité du spectacle de ses ravages valait le coup d’œil. Des centaines de papiers, jetés pêle-mêle hors des tiroirs encore ouverts dans lesquels ils étaient rangés, gisaient sur le carrelage. L’appétit dévastateur de la tempête avait coûté une vie humaine. Un homme gisait sur le ventre parmi les débris de bois d’une commode éventrée, les bras en croix, dans une mare de sang qui sortait avec des bouillonnements du trou béant qui s’ouvrait dans la tempe droite transpercée. Des feuilles éparses s’humectaient d’une gelée rouge. Un émetteur trônait dans un coin.

 

   Ugo s’approcha du macchabée et se pencha vers lui, tout en épiant le barman du coin de l’œil. Il mobilisa sa mémoire. Ce visage glabre ne lui était pas inconnu, ces cheveux châtains maintenant barbouillés de sang, il les avait déjà vus. Une fraction de seconde, puis il identifia la victime. Il avait vu la photo de cet individu dans le fichier de Lanson. Ce type travaillait donc à l’installation de la station française sur le territoire libanais.

 

   Ugo demeura un instant interloqué, à contempler fixement le mort. On s’attaquait à de simples employés, des Français en plus.

 

   — Qui est ce type ? Qui est-ce ? éructa Ugo à l’adresse du Libanais, laissant entendre qu’il ignorait son identité.

 

   — Le chef !

 

   Ces deux mots cinglèrent l’agent secret comme les lanières d’un fouet à toute volée. Ugo crut recevoir en pleine poitrine un coup de bélier à défoncer un mur de prison. Il en eut la nausée. Ce corps avachi là, devant lui, était celui du chef du réseau espion ennemi, ce réseau pour l’élimination duquel les services secrets français l’avaient fait venir au Liban. Un employé de la station ! Un Français ! C’était à devenir fou.

 

   Ugo se releva. Il recouvrait ses esprits et son cerveau travaillait à une allure supersonique. Dans le métier, si on se laissait aller, on ne se remettait d’une syncope que pour sombrer aussitôt dans un sommeil léthargique.

 

   Edifié sur le double jeu du zèbre qu’on avait fait taire, Ugo remit à une date ultérieure le temps de ses cogitations.

 

   Il s’approcha de l’émetteur-récepteur. Quelqu’un avait tenu à ce que personne n’eût le privilège de s’en servir. Il était hors d’usage. On avait coupé une bonne demi-douzaine de fils et fait sauter la presque totalité des lampes.

 

   Ugo fouilla la table du regard. Il cherchait un papier très instructif contenant des tas d’adresses avec des longueurs d’onde et des heures d’écoute et d’émission. S’il existait, ON ne l’avait guère oublié !

 

   Ugo surveillait son prisonnier qui se tenait impassible de trois quarts face à lui. Il eut un dixième de seconde d’inattention en examinant l’émetteur-récepteur. Ce fut trop. Avec la rapidité de l’éclair son lascar lui avait envoyé un magistral coup de pied qui vit s’échapper l’arme qui voltigea en l’air et tomba entre les antagonistes. Il était impossible à l’un et à l’autre de se pencher pour ramasser le revolver sans s’exposer imprudemment à une grêle de coups de l’adversaire. Ugo fut le plus subtil à discerner clairement la situation. D’un coup de talon il envoya le P.08 hors de portée de son vis-à-vis.

 

   L’autre avança avec l’intention de lui porter un coup à la face. Ugo stoppa le poing dans son élan et lança le tranchant de la main en direction de la carotide. Le Libanais esquiva suffisamment pour que la main rate son but. Il feinta et repartit à l’attaque. Ugo le reçut à sa manière. L’énergumène avait levé sa garde, Ugo pivota et lança la jambe. La pointe de sa chaussure toucha l’homme à la base des côtes, à la hauteur du foie, avec une force multipliée par la vitesse de rotation.

 

   La victime fit la révérence et s’affaissa sur le carrelage, crachant la bile. Il se massait l’organe atteint, la respiration coupée, battant des mâchoires à grands coups, la sueur au front.

 

   — Une vraie tête de Druze, pensa Ugo en ramassant le P.08.

 

   Le Libanais continuait de prodiguer ses soins à son foie en marmelade. Il se plia en chien de fusil, crispé, comme s’il eût été en proie aux ultimes coliques. Ugo s’agenouilla près de lui. D’horribles grimaces tiraillaient la face du blessé, conséquences des atroces syncopes provoquées par son organe meurtri.

 

   Et maintenant tu vas cracher le morceau ! prononça l’agent secret sarcastique.

 

   Le Libanais ne répliqua mot. Il se détendit et se laissa aller en arrière. Il capitulait. Il détourna la tête. Il désirait la paix à tout prix. Et puis pouvoir récupérer tranquillement et posément. Le répit viendrait mais Ugo avait décidé qu’auparavant il lui faudrait encore exposer ce qu’il savait sur les agissements délictueux de son clan, avec affabilité et sans affectation.

 

   — Qu’est-ce que ton chef fait ici ? demanda Ugo.

 

   — C’est sa résidence.

 

   — D’où sort-il ?

 

   — Il est Soviétique.

 

   Le temps d’un éclair, Ugo crut que ses jambes l’abandonnaient. Le Libanais venait de lui rendre un coup au foie foudroyant, psychologique celui-là. Ce type, employé dans une station française qui avait besoin de s’entourer d’un maximum de précautions, était Russe. Heureusement les douleurs spirituelles sont infiniment plus supportables que les douleurs physiques. Ugo encaissa le coup et ne laissa rien paraître de se stupéfaction.

 

   L’interrogation reprit.

 

   — Et la môme ?

 

   — Je vous l’ai déjà dit, je ne l’ai vue qu’hier quand…

 

   Le Libanais eut un haut-le-cœur.

 

   — Après ?

 

   — … quand, quand elle est venue me signaler ce rendez-vous…

 

   — Dis plutôt : quand elle est venue te commander d’attenter à notre peau. Scoundrel !

 

   — Non, non, parole, assurait l’autre.

 

   Il encaissa dans la mâchoire un coup de poing à assommer un bœuf.

 

   — Tais-toi, rugit Ugo.

 

   Il enchaîna d’une voix sans aménité.

 

   — Et tu obéis à une femme que tu n’as jamais vue ?

 

   Il fixait l’adversaire d’un œil torve. Celui-ci ne répondit pas. Ses yeux cillèrent quelques instants puis se fermèrent. De ses lèvres baveuses s’échappaient des plaintes balbutiées en arabe. Sa cuisse le lancinait. Son foie semblait vouloir rester à sa place et s’arracher.

 

   Ugo n’en tirerait plus rien. Il lui fit oublier ses souffrances d’un coup de crosse sur le sommet du crâne et malgré ses os durs, il en avait pour une bonne demi-heure avant de reprendre contact avec la triste réalité.

 

   Ugo s’assura avec humanité que la blessure à la cuisse de l’adversaire ne présentait pas de danger pour ses jours. La balle avait sérieusement entamé la chair mais avait continué son chemin. Le sang séché recouvrait d’une croûte rouge la graisse jaunâtre.

 

   Ugo lui ficela solidement les bras derrière le dos à l’aide de bandes de tissu faites en déchirant en lanières la nappe qui protégeait la table de cuisine. Ensuite il sortit son rouleau de sparadrap de sa poche, en croisa deux morceaux sur la bouche, puis colla un morceau sur chaque œil. Lorsqu’il se réveillerait, l’énergumène aurait de l’occupation pendant un bon moment. Il était présentement inoffensif.

 

   Ugo le fouilla. Rien. Il fouilla le macchabée : toujours rien. Pour ce dernier, il s’y attendait un peu.

 

   La visite de la maison n’en apporta pas davantage. Elle fut rapidement faite, les pièces n’étant pas meublées. Curieuse résidence. Aucun agencement qui permette d’y vivre vingt-quatre heures sur vingt-quatre.

 

   Ugo consulta sa montre. Il était exactement vingt-deux heures. Il devait déguerpir de ce tombeau. Des quidams alertés par les coups de feu pouvaient avoir averti la police.

 

   Il éteignit et sortit.

 

   Il attaqua d’un pas pressé la douce montée de ce versant de la montagne.

 

 

 

 
 

 


Date de création : 17/05/2009 11:57
Dernière modification : 03/06/2018 17:27
Catégorie : UGO VALENCE, Agent secret
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REALITE A VIVRE ...

Une fessée d'amour

pour Tequila

Extrait n° 1

...

Et alors il me regarde.

Moi aussi. Un chat, quand ça ne connaît pas, c’est méfiant ! Ici, tout est différent.

Les cercles de mon engin sont de plus en plus amples. Le chat me suit des yeux. Le moteur poussé à fond fait un boucan d’enfer, l’animal ne manifeste aucune peur. Je passe près de lui, nous échangeons un coup d’œil complice, et alors j’entreprends un ultime parcours sur les bordures du jardin potager.

Doucement le chat se lève, fait le gros dos, emprunte dans l’autre sens le trajet de son arrivée et s’éclipse tandis que je baisse le régime du moteur.

J’avais envie de l’approcher, c’est raté.

Je ne sais même pas par où il est passé.

...

 

...

 

Extrait n° 2

 

La touffe de poils n’a pas bougé pendant que je l’observais. J’ai alors envie de partager mes interrogations à son sujet et je vais chercher mon épouse.

— Regarde ! Il y a un mois, quand je retournais le jardin… tu t’en souviens, je te l’ai raconté ! J’ai l’impression de voir le chat qui m’observait.

Il a doucement levé la tête. Est-ce notre présence qui l’a alerté ? Nous nous tenons tranquilles, à plusieurs mètres de lui. Il n’a pas bougé de place. Il nous regarde, nous juge, nous jauge. Il redresse le corps et, continuant de nous fixer, il nous adresse un miaulement.

Je continue :

— C’est le chat qui s’est assis un moment sur une planche du jardin, près de moi, pendant que je travaillais le terrain.

— Il a l’air tout jeune.

— Il semble vouloir nous dire quelque chose.

J’enlève sans précipitation la chaîne qui interdit l’accès au terrain après avoir déverrouillé le cadenas qui la maintient, et nous amorçons notre approche.

La petite bête nous observe et nous manifeste de la méfiance. Elle se tient sur ses gardes, nous nous arrêtons. Elle va fuir si nous poursuivons vers elle.

 

...

Extrait n° 3

 

Pas le moins du monde dépaysée, la minette. De toute évidence, elle vivait près de gens, avec des gens. Ce n’est pas une chatte qui court les caves, les haies, les gouttières ou les hangars agricoles pour manger et dormir.

Bien sûr ! C’est gagné !

La chanson devient de plus en plus répétitive : « Mardi matin, lala , la chatte et… sont toujours chez moi pour… »… Et elle est profondément endormie, recroquevillée, dans son baldaquin de fortune. Et pour quelques heures encore !

Elle s’incruste et au fil de la journée s’insinue l’idée que nous en avons la charge, comme si elle devenait petit à petit notre propriété et que nous en aurions la responsabilité. Non, cet animal, nous voudrions bien qu’il retrouve ses maîtres !

Pour aujourd’hui la chatte ne se laisse pas encore trop approcher, encore moins toucher, et nous lui accordons le temps de s’habituer.

Cependant, dès qu’elle est éveillée, elle se lèche, elle se gratte, s’égratigne, se met à vif la tête, la nuque, le cou, le dos, la queue. Son pelage est mitraillé de trous.

Ce mercredi nous laisse désemparés. Il n’est pas possible d’apporter le moindre soin à notre malade. C’est à peine si au cours de la journée nous pourrons la frôler, maîtrisant nos gestes qu’elle ne doit pas interpréter comme des menaces.

 A suivre.

...

Extrait n° 4

 

Courant maladroitement en
traversant la pelouse la première fois, mieux organisé
et habilement dissimulé derrière d’épais buissons de
fleurs qui bordaient l’eau la deuxième fois, il s’apprêtait
à faire un copieux repas. A moins que sa dégustation
n’ait commencé avant notre mise en alerte ? Les cris
menaçants et les gestes rageurs de la famille eurent
raison de l’importun qui fut dans l’obligation de prendre
un envol laborieux sur une piste un peu courte. La
troisième fois, il resta haut perché sur le faîte d’un saule
et ne prit pas le risque d’atterrir.
Nous ne prîmes pas de risque non plus et le filet fut
installé.
Au travail donc !
Le haut du grillage mitoyen s’agite, pris de
tressautements. Un « frout, frout » sec et soudain, le
lierre s’entrouvre comme fendu par l’éclair. Une touffe
trépigne en basculant vers moi.
Deux yeux, deux oreilles, quatre pattes, une queue, le
tout en noir et blanc, qui souffle en amortissant sa
dégringolade sur le muret fleuri.
Je suis sur le côté opposé du bassin. Plusieurs mètres.
C’est le déclic instantané dans mon esprit, et j’ouvre
sans doute une bouche toute ronde, aussi ronde que
mes yeux ébahis. Même les poissons ont été surpris,
des vaguelettes nerveuses se propagent en cercles qui
s’entrecroisent.

« Bonjour, c’est moi, Minette. Me revoilà. Ah ben oui,
cela fait cinq mois, d’accord, mais bon ! »

A suivre

 

....

Extrait n° 5

— Le pharmacien a oublié le fusil à lunettes et la seringue hypodermique. Ce n’est que de cette façon que nous parviendrons à soigner « notre félin ».

Je juge sage d’attendre le lendemain pour le lait. Une noisette de crème sur la pointe de l’index et du majeur gantés. L’opération est réalisée en cachette.

Pendant que la chatte mange, j’écrase avec toute la délicatesse possible l’onctueuse boule blanche sur la plaie la plus importante du dos. Elle s’est déjà esquivée.

La notice pharmaceutique conseille, pour que le soin apporté ait davantage d’efficacité, de couper ou de raser les poils autour des lésions. Impensable dans le cas présent.

Les applications ne donnent donc aucun résultat notable et la dermatose s’étend sur le dos mité et l’abdomen pelé. Nous avons au niveau du contact avec notre protégée obtenu un effet inverse : Minou ne veut plus manger tant que nous sommes présents et trop proches d’elle. Nous représentons maintenant une menace.

Tentons le collier antipuces.

L’acheter, c’est vite fait. Il reste à l’installer. Minette ne collabore pas et refuse toute approche,  elle a compris que notre comportement cache quelque chose. C’est par surprise que je lui passe le collier sous le cou, saisis la pointe à l’opposé et la glisse dans le premier côté de la boucle. La bête ressent ce carcan comme un corps étranger dont elle veut se débarrasser. Elle essaie de l'ôter, glisse une patte entre l’intrus et son cou et tire avec une grande violence, mais rien n’y fait.

A suivre

 

   

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